Intention

           Nous avons rencontré Melain Nzindou pour la première fois, en décembre 2009 dans sa galerie d’Angoulême, qu’il avait ouverte deux ans auparavant.

Nous avons découvert un artiste qui peint uniquement le Congo, son pays et sa seule source d’inspiration : un Congo aux couleurs vives qui éclatent sur ses tableaux composites faits de matériaux bruts, de morceaux de bois, de canettes en ferraille, et d’objets divers glanés ça et là.

En nous montrant ses tableaux, il nous a raconté leurs histoires : le camion surchargé de passagers surnommé PLM (Place libre pour la mort), l’enfant endormi au visage si paisible, en fait évanoui d’inanition.

Son talent de peintre et de conteur nous a donné envie de le connaître davantage. Nous sommes donc retournés le voir, plusieurs fois, d’abord dans sa galerie, puis chez lui. Nous lui avons proposé de le filmer, lui, tout occupé à peindre, et nous à l’écouter.
Et tandis qu’il peignait, petit à petit, il s’est mis à évoquer des souvenirs d’enfance, et sa fuite, loin du Congo, au début de la guerre civile de 1998.

 Melain Nzindou a attendu dix longues années avant de retourner au pays natal.

En juillet 2009, il a tenté un premier retour ; de cette expérience, il a rapporté de la matière pour ses tableaux ;  mais il a vécu et ressenti, aussi, une immense déception.
Bien que dix années se fussent écoulées, tout semblait figé au Congo. Le pays ne s’était pas relevé de la succession de violentes guerres civiles des années 90 et l’espoir de changement qu’avait pu connaître ses parents s’était enlisé, pour lui et sa génération déçue.
Pourtant, malgré tout, il avait bel et bien franchi un premier pas. Malgré le sentiment d’être en décalage, étranger au Congo comme en France, la nécessité du retour commençait à s’imposer. À son retour en France, l’idée de réaliser un carnet de voyage sur son pays a commencé à prendre forme.

Et puis au printemps 2010, Melain a entamé un second voyage. En retrouvant les rues de Brazzaville, la capitale, ou les paysages de la campagne du Pool, Melain s’est plu à dessiner et photographier des scènes de la vie quotidienne. Comme un « observateur extérieur », il a senti le besoin d’explorer son pays. Il a retrouvé sa source d’inspiration en retournant dans ce lieu qui l’a vu naître comme homme, mais aussi comme artiste, celui de ses premiers coups de crayon, de ses premiers dessins.
De son second voyage, Melain est revenu avec des tonnes de photos et de croquis. L’idée du carnet de voyage s’est développée : en nous montrant ses images, il nous a confié son profond désir de faire découvrir le Congo qu’il juge encore trop méconnu.

En l’écoutant, l’idée de faire un film (sur et avec lui) prenait tout son sens, aussi bien pour lui que pour nous. Plus il se racontait et racontait son pays, plus notre envie de le découvrir à travers son voyage et sa peinture se renforçait.

Aujourd’hui, Melain prépare son troisième voyage. Il ressent l’urgence, le besoin d’aller beaucoup plus loin dans son parcours de vie.

Dans le cadre de cette troisième expérience, nous ressentons nous aussi l’urgence de le suivre, de le voir croquer et peindre son pays, tout au long d’un itinéraire bien précis, dont les lieux clés seraient Brazzaville, Kinkala, Boko et la forêt du Likouala.
A Brazzaville, il a étudié les Beaux-Arts ; à Kinkala, il a vécu plusieurs années avec son oncle ; à Boko, il a été réfugié avec son meilleur ami, au plus fort des conflits et de la guerre civile.
L’aboutissement de ce voyage sera la forêt du Likouala où vivent les Pygmées. Il veut aller à leur rencontre, sur les traces de son oncle médecin, qui les soigne depuis de nombreuses années. Dès nos premiers échanges, Melain nous avait parlé de l’importance de cet homme qui a tenu le rôle du père.

Ce retour aux sources est aussi un retour à la terre et à ce qu’elle offre : de la matière et des couleurs. Melain part à la recherche de l’esthétique de ses premiers tableaux, composés de terre et de pigments ; enfant, il les trouvait dans la rue. Dans les flaques d’eau moussue, il dénichait de la terre verte ; dans les champs, il ramassait une terre claire et une autre argileuse, orangée. Au marché, il achetait de la Toukoula, la terre rouge de marabout.

À travers ce que Melain nous raconte, nous comprenons qu’il souhaite oublier les horreurs du passé et qu’il ressent le besoin d’agir, à sa façon. Tous ses projets témoignent du même désir de faire profiter de sa réussite à ses proches, à son pays, qu’il s’agisse de son projet agricole ou de son envie de monter une galerie à Brazzaville.
Nous voulons montrer le besoin de créer de Melain, son investissement, entre peinture et projets ;  son énergie est le moteur du film que nous voulons réaliser.

Cette énergie contagieuse nous a frappés dès notre première rencontre. Elle nous a renvoyé à nos propres désirs, notre curiosité, notre envie d’accomplissement. Nous avons tous en mémoire des lieux qui nous habitent, nourrissent notre imaginaire. Nous connaissons cette nécessité du retour, attachés nous aussi à un village, un quartier, une maison...
Il y a dans ce désir de retour le besoin de vérifier que certaines images sont restées intactes, comme des fondamentaux. Mais les retrouvailles ne sont pas un moyen de se réfugier dans un passé figé, au contraire ! Elles sont portées par un élan créatif, à la recherche de visages, d'images et d’expériences nouvelles, de projets d’avenir.

Ce documentaire, nous le voyons comme une quête initiatique pour lui et pour nous. Nous aimerions que le film traverse ces espaces intermédiaires, entre souvenirs et création, entre récits et dessins ; les histoires anciennes se mêlant aux images du carnet de voyage.
Nous voulons décrire les retrouvailles entre un homme et son territoire. Chaque lieu, chaque rencontre, entrera en résonance avec les questionnements et les aspirations profondes de cet homme longtemps exilé, qui s’ouvre de nouveau à son pays et se le réapproprie, même si ce pays, au fond, ne l’a jamais vraiment quitté.

 Oscillant entre la nostalgie de l’enfance, l’amertume face à la réalité politique du Congo et le désir de redonner un sens à sa vie, entre pays rêvé et réalité, c’est un portrait du peintre Melain et de sa vision du Congo Brazzaville qui se dessinera sous nos yeux.